Sunday, August 30, 2020

Biélorussie : pour son anniversaire, la rue ne fait pas de cadeau à Loukachenko - Libération

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Cadeau d’anniversaire des Biélorusses à Loukachenko, qui fêtait ses 66 ans ce dimanche : une manifestation gigantesque dans les rues de Minsk, avec au moins 100 000 participants. Deux fois plus qu’il y a une semaine. Dans les grandes villes de province, des défilés de dizaines de milliers de personnes. Ambiance festive, avec chants et cadeaux pour le birthday boy – couronne funéraire, stéthoscope de la part des médecins en colère, fourgon cellulaire en carton avec, au volant, le triumvirat féminin qui a fait campagne contre le président et un message : «Les filles te feront faire un tour, à toi et tes amis.» Finalement, Loukachenko est sorti de la résidence pour venir à la rencontre de son peuple, dans une salopette noire, avec une Kalachnikov à la main, répétition de la mise en scène de la semaine précédente, l’hélicoptère en moins – l’unique photo vient du service de presse de la présidence, et rien ne confirme que l’image date de ce dimanche. L’anniversaire du Président, contesté depuis sa réélection frauduleuse le 9 août, est depuis longtemps un sujet de plaisanterie. Jusqu’en 2009, il était né le 30 août, puis soudainement et officiellement, le 31 août – comme son fils préféré. Mais les chefs d’Etat continuent d’envoyer leurs bons vœux le 30. Vladimir Poutine n’y a pas manqué cette année, avec à la clef une invitation à Moscou, très bientôt, pour discuter de la situation en Biélorussie. Ce serait le cinquième coup de fil entre les deux présidents en trois semaines.

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Occuper les dortoirs 

Contrairement aux rassemblements spontanés, protéiformes et créatifs, dont les deux seules revendications sont la démission de Loukachenko et la libération des prisonniers politiques, la marche de dimanche avait un nom : la «marche pour la paix et l’indépendance». Une réaction aux déclarations de Vladimir Poutine, cette semaine, sur une possible intervention de Moscou. Le président russe a promis que si la situation devenait «hors de contrôle», il enverrait ses propres Omon (unités de forces spéciales) donner un coup de main à celles de Loukachenko, qui étaient largement déployées dans la capitale ce dimanche. Dans la matinée, des colonnes de véhicules militaires sont arrivées à Minsk – avec parfois un drapeau rouge et vert, celui reconnu par les fidèles du régime, pour boucler la ville, et en particulier l’avenue de l’Indépendance, le long de laquelle se sont tenues la plupart des manifestations de ces dernières semaines. Mais, au même moment, les étudiants revenaient de chez leurs parents, leur couette sous le bras, pour occuper leurs dortoirs à Minsk. Dernier week-end des vacances scolaires et premier week-end de retour dans la capitale, l’ampleur de la mobilisation était prévisible. Samedi, le ministère de l’Intérieur a essayé d’en limiter l’ampleur : «Passez le dernier week-end de l’été avec votre famille et vos proches ! Ne participez pas à des actions illégales dans la rue.» Ce ne sont pourtant pas les Omon qui ont dispersé la foule – malgré une centaine d’arrestations –, mais d’énormes grêlons.

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C’était le dernier dimanche de l’été, et l’opposition a prouvé que le soutien de la rue ne faiblissait pas, au contraire. Elle a trouvé son rythme, une occupation dispersée de l’espace public en semaine, et le dimanche une manifestation applaudimètre qui doit permettre de mesurer la popularité de l’opposition. Et tester Loukachenko, qui promet la répression presque tous les jours et renforce sa défense. Une centaine de personnes ont été arrêtées dimanche, bien moins que les 7 000 qui avaient été enfermées et tabassées dans les trois jours qui ont suivi la présidentielle. Les journalistes restent une cible privilégiée : une cinquantaine ont été arrêtés jeudi, et samedi, dix-sept correspondants permanents, accrédités pour des médias étrangers, notamment la BBC, Reuters, l’AFP et AP, se sont vu retirer d’un coup leur autorisation d’exercer avec effet immédiat. Quant à la majorité des journalistes occidentaux, ils travaillent sans visa, avec le risque de se faire arrêter.

Intimidations quotidiennes

L’automne s’annonce compliqué pour le Conseil de coordination, l’organe créé par l’opposition unie pour assurer une transition démocratique pacifique, sous l’égide de Svetlana Tikhanovskaïa, qui s’est présentée à la présidentielle contre Loukachenko. Deux des membres de son présidium, Sergueï Dilevski, un ouvrier de l’usine de tracteurs MTZ, et Olga Kovalkova, du parti démocrate-chrétien, ont été arrêtés et placés en détention pendant dix jours pour avoir discuté avec des travailleurs devant une usine. Deux autres, la célèbre écrivaine Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature en 2015, et Maria Kolesnikova, qui a fait campagne aux côtés de Svetlana Tikhanovskaïa, ont été convoquées devant le comité d’enquête du KGB. Pavel Latushka, ancien ministre proche de Loukachenko passé dans l’autre camp, ne dort plus chez lui, et subit des intimidations quotidiennes. La requête qu’ils ont déposée auprès de la Cour suprême au sujet des fraudes a été rejetée, et le Conseil se trouve dans une impasse, sa légalité étant contestée par le pouvoir dont il conteste la légalité…

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Maintenant que les manifestations ont trouvé leur rythme de croisière, le défi majeur pour l’opposition est de mobiliser les ouvriers dans les usines d’Etat. La grève générale, lancée mi-août et d’abord suivie avec enthousiasme, a été asphyxiée par une répression brutale, orchestrée par le KGB et les cadres fidèles au régime. Au moins deux meneurs de grève ont dû fuir en Lituanie et en Pologne. D’autres ont été arrêtés. La majorité des ouvriers ont repris le travail, de peur de le perdre. Ce n’est pas une fatalité, veut croire un membre du Conseil de coordination : «C’était la toute première grève dans le pays, c’est normal que l’on tâtonne, que les ouvriers aient peur ! Mais le mouvement reprendra quand la situation économique se dégradera encore plus, ce qui est inévitable avec la chute du rouble. Et là, nous serons mieux organisés et plus efficaces.» Mais, aidé de Poutine et de ses roubles, Loukachenko aura également le temps de mieux s’organiser. C’était aussi sa première grève.

Justine Salvestroni


August 31, 2020 at 12:51AM
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